- "Bonjour dit le petit prince.
- Bonjour, dit le marchand.
C'était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l'on n'éprouve plus le besoin de boire.
- Pourquoi vends-tu ça? Dit le petit prince.
- C'est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
- Et que fait-on de ces cinquante-trois minutes?
- On en fait ce que l'on veut.
- Moi, se dit le petit prince, si j'avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine". [1]
Comment ne pas faire appel, une fois encore, au talent métaphorique de Saint-Exupéry ?
A l’heure où je vous écris, tard, très tard, je me sens concerné par la « gestion du temps », des « priorités ». Faire plus en moins de temps, gagner du temps, ne pas « perdre son temps » …
Pas facile de retrouver un peu de paix en soi, en moi, de prendre du recul, de prendre une profonde respiration.
Pas facile de choisir consciemment de prendre cette respiration, de regarder sous un autre angle.
Que ce soit pour 10 secondes, le temps d’un soupir, d’une respiration, ou que ce soit pour 1 semaine, 15 jours, ou un mois, le temps des vacances, ou encore pour une année sabbatique, nous avons besoin de ces temps particuliers.
Tiens, certains reconnaîtront ici un de ces moments magiques, autour d’une table, sous un chapiteau, en Bretagne … nous étions, 6 ou 7, je ne sais plus, à échanger nos expériences, nos façons d’être et de faire dans la vie de tous les jours ; à évoquer notre faculté de choisir de vivre un moment ou une activité en y étant présent, plutôt que de zapper ; ou notre capacité de prendre du recul pour digérer, intégrer, comprendre ; et avant tout, notre accord unanime quant à ce besoin d’être, juste d’être …
Je garde en mémoire ce plaisir, dans un petit moment de silence, de nous regarder sourire, chacun et chacune un peu dans ses pensées …
Prendre du recul, se donner le temps… Se mettre en jachère ?
Laisser à notre corps et à notre esprit la possibilité de se ressourcer, se réparer, se « re-poser ».
Mettre à profit le temps de « loisir », « temps dont quelqu’un peut disposer en dehors de ses occupations ordinaires », selon le Petit Larousse. Mais ce dictionnaire donne au terme loisir également un autre sens : « distractions pendant le temps libre ».
Or, bon nombre de loisirs nous proposent effectivement de nous distraire, peut-être pour oublier la vie quotidienne. D’être pris par des émotions (des jeux électroniques aux émissions plus ou moins captivantes à la télé, en passant par les « attractions » d’un Walibi ou l’autre) assez fortes que pour nous couper de nos expériences parfois difficiles.
Mais là, ce n’est plus se mettre en jachère ; Ce serait plutôt se mettre en friche, laisser la culture à l’abandon…
Il n’y a pas de doute : je préfère choisir les loisirs qui permettent de se mettre en jachère. Continuer à s’entretenir, mais se laisser du repos, le temps de se reconstituer…
Il est donc tard. Temps de passer à la pratique.
Dame Blanche, notre chatte, est venue se coucher, là près de moi.
Long bâillement. Étirement profond. Soupir d’aise qui donne envie de soupirer d’aise…
Puis la voilà qui se retourne, et repique un petit roupillon.
Bonne nuit …
Que chaque jour de 2005 vous offre, nous offre, la possibilité de marcher tout doucement, attentivement, vers nos fontaines…
Olivier Limet,
Vœux de nouvel an 2005
[1] Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Ed Gallimard, 1945
2 Replies to “Se mettre en jachère”
Merci infiniment pour ce moment de paix.
Prends bien soin de toi.
Je t’embrasse, cher Olivier
Très beau texte, merci Olivier ! et j’espère que tout va bien pour vous. Moi je savoure ce temps de jachère imposé…